Attachée de presse, femme avant d’être mère et grand-mère, Victoria est loin d’en avoir fini avec la vie active. La retraite tranquille, au rythme d’un bateau de croisière ? Très peu pour elle. Malgré les défis qu’elle rencontre, elle croque la vie à pleine dents. N’en déplaise à celles ou ceux qui seraient tentés de la mettre hors-jeu en l’enfermant dans la catégorie de "vieille". Un témoignage franc et direct, qui met KO des clichés bien ancrés sur les retraités.
A 64 ans, est-ce que tu te reconnais dans ce mot de vieille ?
Non, ça me fait horreur. Ça me fait autant horreur que quand on définit une personne par sa couleur de peau. Est-ce que ça nous traverserait l’esprit de dire, quand on croise quelqu’un dans la rue : "tiens, voilà un noir ?". Je ne crois pas. Alors comment peut-on le faire sur un critère d’âge ? Et puis, je ne me sens pas vieille. C’est quoi, être vieux, finalement ? Dans ma tête, est-ce que j’ai 64 ans ?
A ce propos… quel est ton âge ressenti ?
Ça dépend des humeurs. Je peux me réveiller un matin en me disant : "j’ai 15 ans". Quand je suis très amoureuse, j’ai 15 ans. J’ai envie de chanter, danser. Je danse encore le rock avec mon homme. Quand je suis très fatiguée, comme ça peut arriver à des gens beaucoup plus jeunes que moi, je peux sentir que j’ai 100 ans. Tout est relatif. Il n’y a pas à mettre les gens dans des cases, surtout pas par rapport à leur âge.
Mon corps me rappelle que j’ai 64 ans. Mais mon cœur, mon âme, mon esprit, mon enthousiasme… non. Mes enfants me disent parfois : "maman, tu es une gamine !". Se sentir vieux, à mon avis c’est une question de mentalité et d’état d’esprit. Il y a des jeunes de 25 ans qui vivent comme des vieux. Vieux, dans le sens de quelqu’un qui s’enferme, qui a décidé que c’était fini. On met comme un linceul sur soi et sur ce qui nous entoure. Il y a des jeunes comme ça, qui ne s’intéressent à rien. Quand tu ne t’intéresses à rien, pour moi tu es vieux. Tu t’enfermes dans quelque chose d’hermétique ou rien ne passe.
L’âge, c’est comme un numéro de rue ou une adresse postale. J’habite telle rue, dans tel endroit, et alors ? J’ai 64 ans, et alors ?
Aujourd’hui, je continue de travailler et je suis dans une dynamique positive qui me pousse à faire des efforts, à m’intéresser à ce qui se passe autour de moi, à lire la presse… Physiquement et intellectuellement ça me demande des efforts. Ça m’oblige à exercer ma mémoire. Je suis dans une dynamique qui m’entraîne à être une femme active. Ce qui, à mon sens, n’est pas compatible avec le qualificatif de "vieux" ou "vieille".
Parfois on s’étonne que je ne sois pas à la retraite. Pourquoi est-ce que ça surprend de continuer à travailler à 64 ans alors même qu’on pousse les vieux à travailler et que souvent, ceux qui ont une petite retraite sont obligés de cumuler plusieurs boulots pour s’en sortir ?Je ne sais pas comment je serai quand j’aurai fini de travailler. C’est trop loin pour moi, je ne l’envisage même pas pour le moment. Plus longtemps on me garde, mieux je suis parce que j’aime ce que je fais et que ça me maintient dans la société. Ça me permet aussi de tenir tête à ceux qui veulent m’en sortir. De leur dire : "je fais partie de vous".
Je pense par exemple à une journaliste avec qui j’avais rendez-vous et qui a été surprise en me voyant en vrai, après avoir échangé avec moi par téléphone. Ma voix ne correspond probablement pas au physique que j’ai, je déconne aussi assez facilement. "Ah, c’est vous Victoria ?" : j’ai vu en un millième de seconde dans son regard qu’elle ne s’attendait pas à quelqu’un comme moi.
C’est une question de formatage : tu nais avec l’idée qu’on est jeune à 20 ans, qu’à 35 on doit être marié.e avec des enfants, qu’à 40 ans si tu n’es toujours pas marié.e avec des enfants, il y a problème. A 50 ans, tu es installé.e, tu as ta voiture, tu n’as plus de crédit, tes enfants sont mariés ou ont fait de grandes études. A 60 ans, tu as une retraite plutôt confortable et tu pars en croisière toute ta vie… Mais la vie ce n’est pas ça ! Ce n’est pas du tout ça. Je dirais même que l’âge, c’est comme un numéro de rue ou une adresse postale. J’habite telle rue, dans tel endroit, et alors ? J’ai 64 ans, et alors ?
Pour toi, qu’est-ce qui s’améliore, se maintient ou se dégrade éventuellement avec le temps ?
Physiquement, ça se détériore. On a beau faire des progrès en médecine, il n’y a rien à faire : le corps vieillit. Un jour tu te lèves. Tu te regardes dans le miroir. Et tu ne te reconnais pas. C'est la transition la plus difficile. J’étais très sportive quand j’étais plus jeune. Je le paie aujourd’hui : j’ai mal aux épaules, aux genoux… Dans quelques années, je devrai probablement avoir des prothèses. A un moment donné, même si tu as 15 ans dans ta tête, ton corps te rappelle l’âge que tu as. Et ça ne va pas aller en s’améliorant ! La moralité de ce constat, qu’est-ce que c’est ? Aujourd’hui, j’ai 64 ans et de l’arthrose. Ça me fait souffrir, mais qu’est-ce que ce sera dans 10 ans ?
J’apprécie aujourd’hui le fait de courir avec mes petites filles, de monter les escaliers, d’aller nager… je n’ai pas de restrictions pour le moment. Je dois seulement faire attention sur certaines choses. Par exemple, je sais depuis peu de temps que je fais du cholestérol alors que je n’en ai jamais fait de ma vie, donc je dois surveiller ce que je mange. Ou encore, depuis une dizaine de jours j’ai mal aux dents alors que ça ne m’est jamais arrivé et que je n’ai presque jamais eu besoin de consulter un dentiste.
Il y une forme de sagesse qui vient avec le temps. Je prends les choses avec beaucoup plus de sérénité, je deviens plus philosophe et je m’énerve moins.
Ça se dégrade, oui. Mais j’apprécie quand même les dégradations d’aujourd’hui, parce que quelles seront-elles dans 10 ans ? Peut-être que je serai sourde. Ça se dégrade physiquement mais il faut relativiser ! Je ne suis pas en phase terminale d’un cancer dans un lit d’hôpital. Je suis sur mes deux pieds, mes deux jambes. Il y a un proverbe qui dit que c’est quand tu seras devant la rivière que tu sauras comment la traverser. Je pourrais passer mon temps à me plaindre de ces dégradations présentes ou futures. Quand je serai dans 10 ans, je traverserai la rivière.
Ce qui évolue de manière positive, ce sont les liens familiaux. Les liens étaient déjà très forts mais ils se trouvent encore renforcés et unifiés avec la naissance de mes petits-enfants. Ça apporte un ciment indestructible entre ma famille et moi. Ça développe un amour… je ne sais pas comment dire.
Etant Française d’origine albanaise, j’observe que dans les Balkans, les grands-parents sont très importants. Je veux avoir ce rôle de grand-mère pilier. Ça me plaît. J’étais déjà une maman pilier. Une amie pilier. Mes amis savent qu’ils peuvent compter sur moi. Ça me plaît d’avoir ce rôle. Ça s’amplifie avec le temps et avec la naissance des petits-enfants. Il y aussi une forme de sagesse qui vient avec le temps. Je prends les choses avec beaucoup plus de sérénité, je deviens plus philosophe et je m’énerve moins.
Qu’est-ce qui t’anime aujourd’hui ?
Mon travail m’anime. Je suis attachée de presse dans l’édition, j’adore ce que je fais. Le fait d’avoir choisi le métier que je fais, c’est un luxe ! Ce n’est pas donné à tout le monde. La culture m’anime. J’ai souffert d’en manquer pendant cette année et demie. Être amoureuse m’anime. Je n’ai pas pu voir mon homme depuis plusieurs mois parce qu’il n’était pas à Paris du fait de la crise sanitaire. Le manque m’anime ! Ma famille m’anime ! Quand je dis ma famille, je parle de celle que je me suis construite. Pas celle qui m’a mise au monde : ça c’est la famille qu’on m’impose. Mes amis m’animent. La politique m’anime. J’ai toujours été quelqu’un d’engagé. J’ai travaillé dans différentes associations. La vie m’anime, tout simplement.
Je m’intéresse au monde autour de moi, je n’ai pas le nez sur mon nombril. Je m’intéresse à ce qui se passe en Egypte, en Chine ou ailleurs ! Les relations diplomatiques m’intéressent. Ce qui se passe dans mon pays m’intéresse. Il y a des choses qui me révoltent. La pauvreté en France me révolte. Je suis animée par plein de choses. J’ai une nature peut-être pas rebelle, mais je ne me contente pas de ce qu’on veut me faire avaler. Pour moi, la pire des choses aujourd’hui, ce sont ces près de 10 millions de pauvres en France. Qu’on vienne m’expliquer pourquoi il y a 10 millions de pauvres dans un pays riche. Tout ça, ça m’anime.
Est-ce qu’il y a un mot ou une expression qui t’agace particulièrement quand on en vient à parler d’âge ?
Quand je prends les transports en commun, je ne supporte pas qu’on me dise : "Madame, vous voulez vous asseoir ?". Je n’en suis pas encore là ! Et si je veux m’asseoir, je le demande ! Il y a la bonne éducation certes mais cette pseudo-bienveillance m’agace.
Autre chose qui m’énerve : certains animateurs d’émissions télévisées qu’on considère comme des émissions "de vieux" et que d’ailleurs je regarde, subissent des moqueries parce que leur public est âgé. Ce à quoi ils répondent : "on les adore, nos vieux !". Mais de quels vieux parle-t-on ? J’ai 64 ans et je ne suis pas vieille. Je ne veux pas qu’on me dise que je suis vieille ! 97 ans c’est vieux mais 64 ans… Foutez-nous la paix ! Vieux ou pas, on est des individus, des gens.
Est-ce que tu as envie d’ajouter quelque chose ?
Le vieillissement, ça fait ch*** [à vous de compléter]. Vieillir, c’est moche parce que ça ne va pas en s’améliorant. C’est moche ! On marche moins bien, on voit moins bien, on a de l’arthrose… Je regrette mes 20 ans, mes 30 ans, ma jeunesse. Mais c’est comme ça. On a la peau qui flétrit. Moi qui aimais me mettre en short, je ne le fais plus depuis peu. Je mettais des maillots de bain deux pièces, maintenant je porte des une-pièce. Il y a des choses qu’on ne peut plus faire. C’est moche la vieillesse, parce qu’on renonce à des tas de choses. Renoncer fait partie de la vie mais en général tu renonces à une chose pour en acquérir une autre. Tandis que quand tu vieillis, tu renonces mais pour acquérir pas grand-chose de mieux. Donc c’est moche.
Ceci dit, je ne me laisse pas abattre ! Pour dépasser ça, j’ai envie de me lancer dans une nouvelle aventure en devenant mannequin senior. Si le projet se concrétise, ce sera un beau pied de nez aux clichés sur la vieillesse ! Il paraît qu’il n’y a rien de plus simple. On va voir ! Malgré tout un jour il faudra quitter tout ça : la beauté de ce monde et l’arthrose ! Alors tant qu’on est là… notre devoir est d’être heureux.
Propos recueillis le 04/05/2021.
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