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Muriel, l'âge d'être libre

Dernière mise à jour : 19 oct. 2021

Ce qui passionne Muriel ? Le leadership au féminin. Plus exactement, le pouvoir qu’ont les femmes de choisir dans leur vie ce qui leur convient. C’est pourquoi après une carrière en communication, elle crée sa société Women Masterclass, pour faire en sorte que les femmes vivent pleinement leur vie professionnelle. Auteur du livre Un monde au féminin serait-il meilleur ?, elle s’intéresse aussi à la mode et à l’apparence qui, "quoi qu’on en dise, est encore un sujet important dans notre société", précise-t-elle avec irrévérence en souriant. Voici notre échange.


Muriel portrait Coup de vieilles ©katerina zekopoulos

A 66 ans, est-ce que tu te reconnais dans ce mot de "vieille" ?


Ma réponse est non. On n’en a pas, de mot. "Jeune", "vieux", on n’a pas d’autres mots donc on les utilise. Et qu’on ne me parle pas des aînés de Monsieur Castex ! Ça m’a révoltée, qu’on décide de nous enfermer parce qu’on a un certain âge. Laissez-nous vivre !


Que tu sois femme ou homme, à un moment donné tu es écarté du monde professionnel. A moins que tu aies créé ta société ou que tu sois dans la politique. Dans une entreprise classique, tu es poussé.e dehors, sous prétexte que tu coûtes trop cher par exemple. Sauf si tu as un cancer ou une pathologie, tu es encore en pleine forme. On te donne une carte senior qui te permet d’accéder à des avantages et tu dois entrer dans une autre case. Quand tu es quelqu’un qui n’aime pas entrer dans des cases, c’est encore plus gênant.

Qui a envie d'être vieux ? (...) Comme ce n'est pas drôle, autant essayer d'inverser la machine, sans pour autant tomber dans l'obsession.

Qui a envie d’être vieux ? On est en train de s’étonner de la vieillesse mais on n’a pas le choix. C’est la vie qui nous fait un jour nous rider, nous déglinguer. Il faut qu’on redise certaines choses. La vieillesse, ce n’est pas quelque chose qu’on a demandé. Ce n’est pas vrai que c’est agréable ni qu’on est plus joli quand on est vieux.


Qui a envie d’avoir des rides ? Maintenant, puisque c’est comme ça, tu as intérêt à en faire quelque chose de bien, parce que justement tu n’y peux rien. Comme ce n’est pas drôle, autant essayer d’inverser la machine, sans tomber pour autant dans l’obsession. Parce que c’est très ennuyeux quand tu n’acceptes pas ce que tu vis. Une fois que tu l’as accepté, à toi de réagir. Chacun réagit différemment.


Quel est ton âge ressenti ?


J’ai deux âges ressentis : j’ai sûrement 10 ans parce que je suis une enfant, que je n’ai jamais grandi et que je n’ai absolument pas envie de grandir. En même temps, mon corps me dit que j’ai peut-être 45 ans. N’ayant pas eu d’enfants, j’ai gardé un corps de jeune femme. Je dois reconnaître que j’ai de la chance d’avoir entretenu un corps qui n’a pas enfanté, qui n’a pas été abîmé ni cassé.


Depuis que je suis née, j’ai envie que la vie soit belle. Je fais beaucoup d’efforts pour que ce soit le cas. Pour que ce soit joli, amusant, gai. Quand je suis déprimée, j’ai besoin de rire. Je travaille beaucoup à ça parce que je crois que c’est aussi soi-même qui la rendons le plus possible belle. J’ai eu la chance de vivre en France, de n’avoir été ni violée, ni mariée… ça m’a aidée. Mais j’ai aussi fait beaucoup d’efforts pour que ce soit comme ça. J’ai un regard d’enfant sur les choses, et je veux le garder. Les adultes m’ennuient. Les gens sérieux m’ennuient.


Est-ce que tu peux nous en dire un peu plus sur ce choix de ne pas avoir d'enfants ?


J’ai fait ce choix à 18 ans. Je savais que c’était ce qui me fallait à moi et j’ai eu la possibilité de l’assumer. Je n’ai laissé le choix à ni à mes parents ni à personne. Nous ne sommes pas forcément faites pour être mères, comme nous l’a dit Elisabeth Badinter. Je vois beaucoup de catastrophes autour de moi, des personnes qui font des enfants parce que c’est dans l’idée qu’elles se font d’une vie et du sens de la vie. J’ai eu la chance de me dire que non, ce n’était pas fait pour moi. Que j’allais rendre mes enfants malheureux parce que je ne voulais pas faire ce qu’il faut faire pour avoir des enfants.


Il y a plusieurs choses à prendre en compte dans mon cas : le rapport à la mère, qui n’a pas été simple ; le rapport au corps, à la responsabilité… On nous traite d’irresponsables mais je crois qu’on est d’autant plus responsable quand on décide de ne pas faire d’enfants. Le rapport à l’âge, à l’amour aussi. J’ai décidé de mettre l’amour avec un partenaire au-dessus de tout. J’ai fait un choix.


Et puis est-ce que j’aime suffisamment la vie pour mettre des enfants sur terre ? J’ai répondu "non" à cette question. Maintenant que j’y suis, j’essaie de rendre la vie la plus belle possible. Je ne vais pas dire à mes parents que c’est leur faute, non. Je suis responsable de ma vie.


Si tu devais choisir 3 mots pour parler de vieillesse ou de vieillissement…


Je dirais ralentissement, choix et liberté. Ralentissement parce que petit à petit, le corps te pousse à ralentir. J’ai beaucoup voyagé, je suis beaucoup sortie et même si j’ai un corps jeune, je me rends compte qu’il a besoin de ralentir.


Le choix parce que c’est le moment où tu peux choisir une autre forme de vie. Je crois qu’il faut en profiter, pour ceux qui le peuvent. Certains en profitent, d’autres pas. J’ai des amies grands-mères qui n’osent pas dire non à leurs enfants pour garder leurs petits-enfants. Apprendre à dire non fait partie du choix.


Il y a quelque chose de positif dans l’âge qui n’est pas assez mis en valeur : la liberté. Si tu n’es pas en situation de précarité, si tu as de quoi vivre avec ta retraite, tu peux décider de faire exactement ce que tu veux. C’est probablement la seule période de ta vie où tu peux le faire. Tu peux faire ce que tu veux faire et pas ce que tu dois faire, parce que la société te dit telle ou telle chose. Tu ne fais pas ça sans avoir travaillé sur toi. Une fois que tu as fait ce travail si tu en as ressenti le besoin, tu es prêt ou prête à utiliser cette liberté. Et il faut se dépêcher d’en profiter parce qu’au bout d’un moment, il y a des choses qui se déglinguent dans le corps.


Qu’est-ce qui pour toi se dégrade, s’améliore ou se maintient avec le temps ?


Pour moi c’est important de continuer à faire marcher sa tête, à lire, discuter, s’instruire… pour éviter ou retarder les risques de dégradation de l’esprit. Le corps se dégrade ! Je fais du sport, j’en fais des choses ! Et sans rien faire, ça se ramollit. Ça se dégrade sans que tu n’y puisses rien. Tu peux te refaire le visage mais pas tout le corps !

A la retraite, nous avons du temps (...). Quand on n'a pas de maladie ou autre, ce temps est merveilleux !

Le rapport au temps s’améliore, il devient une denrée que tu as. Quand tu es plus jeune, tu n’as pas de temps. Quand tu as des enfants, tu as encore moins de temps. Les femmes qui travaillent et qui ont des enfants courent après le temps. A la retraite, nous avons du temps. Tu utilises ce temps. C’est une amélioration de l’âge que je relie à la liberté. Utilisons ce temps. Quand on n’a pas de maladie ou autre, ce temps est merveilleux ! Encore faut-il parfois apprendre à ne pas s’ennuyer.


Et puis tu as appris des tas de choses au fil de ton parcours ! Tu as envie d’en apprendre encore mais tu as une expérience des gens, des choses. Même si le monde change beaucoup, tu as suffisamment d’esprit pour apprendre, si tu veux apprendre. Qu’est-ce que tu en fais ? La question est de savoir si tu veux ou pas en faire quelque chose. Chacun est libre de faire ce qu’il ou elle veut.


Qu’est-ce qui t’anime aujourd’hui ?


Transmettre quelque chose, via le coaching, le bénévolat… Pour moi, transmettre c’est conseiller, voir que je peux servir à quelqu’un. Que je peux l’aider à quelque chose. J’y suis très sensible depuis que je peux le faire dans ma vie privée.


L’autre partie est liée à l’émotion. C’est prendre plaisir à lire un livre parce que personne ne va t’empêcher d’aller au bout de ce livre. Aller au cinéma trois fois dans la journée. Partir demain matin je ne sais où. Décider de faire quelque chose qui te plaît. Je passerais ma vie au cinéma, au théâtre, à lire… Le plaisir est là. Pour moi, il faut impérativement en profiter. Je ne suis pas dans la décélération de la vie. La vie est riche des émotions qu’elle nous procure. L’art me procure une émotion, les gens, les paysages…


Je vois la vie comme un chemin. Peu à peu, le chemin devient plus étroit. Il se rétrécit comme cela peut arriver dans la nature, mais ce n’est que le même chemin. Il devient indispensable d'avoir une lumière car ce rétrécissement nécessite de voir clair pour ne pas tomber en cours de route. Pour ma part, cette lumière c’est l’amour que je donne et que je reçois : celui de mon mari associé à celui de mes amis qui me sont essentiels.


Est-ce qu’il y a un mot, une expression qui t’agace quand on en vient à parler de l'âge ou de la vieillesse ?


Il y a ce que mes amies appellent "l’invisibilisation" des femmes, qui n’est pas l’invisibilité. Ce mot m’énerve parce qu’il nous place en victimes. Nous ne sommes pas que des victimes. C’est une partie de la personne mais ce n’est pas ce qui la définit. Le risque avec la victimisation, c’est de s’enfermer dedans. Ce qui m’intéresse personnellement, c’est la capacité de la personne à transformer sa vie, sa situation. Je crois au libre arbitre et je suis pour cette liberté d’agir.


Et puis il y a différents sujets, des situations très variées dans l’invisibilisation des femmes : la ménopause et le fait de ne plus pouvoir avoir d’enfants, la sortie de la vie professionnelle… Or on le traite parfois comme un sujet unique en disant : "vous n’existez plus".


Est-ce que tu as envie d’ajouter quelque chose ?


La beauté est un vrai sujet, pas uniquement féminin d’ailleurs. Les hommes mentent sur leur âge sur les réseaux sociaux, en mettant des photos d’eux d’il y a 10 ans ! Entretenir son corps, c’est aussi entretenir son capital beauté. Je milite pour que ce soit partagé par tous les sexes et pas uniquement une obligation des femmes. Je suis une ayatollah du look, diront certains et ils n’ont pas tort ! Sincèrement, un ventre bedonnant ce n’est pas très joli. A partir du moment où on revient sur le fait que l’âge est une fatalité et qu’on ne peut pas aller contre… prenons au moins soin de nous. C’est en notre pouvoir.

Je veux que tout le monde, homme ou femme, puisse prendre soin de soi en vieillissant.

Pour moi, ça passe par le fait de se nourrir convenablement. Continuer à s’entretenir, aller chez le coiffeur, faire un peu d’activité physique… C’est continuer à avoir plaisir à s’habiller. Sous prétexte que tu ne vas pas au bureau ou que tu n’es pas en représentation, il peut y avoir un laisser-aller. Ce n’est pas qu’une question de beauté mais aussi voire surtout de soin. A peu près n’importe qui aujourd’hui peut être soigné, propre sur soi. Le regard des autres est différent quand on prend soin de soi. Je veux que tout le monde puisse prendre soin de soi en vieillissant.


Propos recueillis le 22 Avril 2021.

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