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J'aide, tu aides, il/elle aide... aidons-nous !

Tandis que la problématique des aidants continue de gagner en notoriété, avec un Français sur deux qui déclare en avoir entendu parler, la parole sur ce sujet peine encore à se libérer. Pourtant, 11 millions de personnes seraient concernées. Un chiffre probablement sous-estimé et qui est amené à augmenter dans un contexte de vieillissement de la population. Et s'il était temps d'en parler franchement ? Témoignage.


Help : quand les aidants ont besoin d'aide

J’ai une petite confidence à vous faire… Alors qu’on parle de plus en plus des 11 millions d’aidants en France et en particulier des aidants actifs (1), j’ai encore du mal à me définir comme telle. Aidante, ça commence quand exactement ? Mon cas n'est pas isolé puisque 6 aidants sur 10 ne se considèrent pas comme tels.



Difficile de me définir comme telle parce que ma mère est en première ligne bien plus que moi. Parce que je considère que mon aide est minime par rapport aux besoins et à tout ce que j’aimerais pouvoir faire ou donner : plus de temps, de présence, de soutien…


Et puis n’est-ce pas normal, quand c’est possible, d’accompagner un proche en perte d’autonomie ? Suis-je "aidante" ? Ou suis-je juste en train de jouer mon rôle de petite-fille ? Parenthèse : cela risque de ne pas vous surprendre mais la majorité des aidants sont des filles, conjointes, mères... c'est-à-dire des femmes (2).


Vis ma vie d’aidante


Ma grand-mère a 95 ans et est en perte d’autonomie depuis plusieurs années. Si ce jargon ne vous dit rien, ça signifie qu’elle a besoin d’une aide essentiellement humaine pour se déplacer, se laver, se nourrir, s’habiller… pour vivre sa vie au quotidien. Nous avons l'avantage de vivre dans le même pays mais 800 kilomètres nous séparent malgré tout, rendant l'aide à domicile indispensable.


Je vais la voir régulièrement pour passer du temps avec elle, échanger avec les nombreuses intervenantes sur ce qui va et ne va pas, essayer de mieux coordonner l’aide, préparer des repas pour retrouver le goût du fait maison, gérer les éventuels problèmes administratifs (pension de réversion etc.), remplacer ponctuellement des auxiliaires de vie... Surtout, être là. Accueillir ce qui vient. Accompagner du mieux possible. Bref, faire la routine de l'aidant.

Le seul fait de pouvoir en parler peut alléger la charge invisible au premier regard, qui pèse sur les épaules des aidants.

Je n’ai jamais vraiment osé parler de ça ouvertement dans mes précédentes missions professionnelles. Même quand il m’arrivait d’en parler, je sentais que l’écoute était difficile. Sauf quand je travaillais aux côtés d’ergothérapeutes en Belgique, dans une association spécialisée dans l’adaptation du logement : ici, la perte d’autonomie faisait partie du quotidien et n’était pas considérée comme une étrangeté.


En dehors de cette expérience, rien à faire. Autant on peut entendre qu’on ait besoin de télétravailler pour s’occuper de ses enfants, autant quand il s’agit d’un parent ou d’un grand-parent, bref d’un vieux, c'est beaucoup moins audible. Voire, c’est inacceptable. Un enfant c’est mignon, un vieux c’est dégoûtant et ça nous rappelle qu’on va mourir. Moins sympa. N’en parlons pas. Difficile de libérer la parole dans ces conditions.


La charge invisible


Je réalise à quel point c’est difficile de traduire cette expérience à celles ou ceux qui n’y sont pas confrontés. Et encore, mon aide est très limitée par rapport à d’autres, aidants à bout de souffle qui gèrent au quotidien et occupent ce job à temps plein, bien plus usant émotionnellement qu’un job classique. Personne ou presque ne veut savoir ce que c’est de voir un proche aimé se décomposer sous vos yeux à force de vieillir et de perdre en autonomie. Et je ne parle même pas de la maladie ou du handicap, de vrais défis aussi.


Parfois, c'est par la force des choses que la personne devient de plus en plus dépendante. Parfois, l’aide à l’autonomie aggrave malgré elle certaines situations : par négligence, manque de formation / information ou pour d’autres raisons comme l'âgisme, l'épuisement ou le manque de temps. Je sais pour l’avoir déjà fait qu’il est tentant de se substituer à la personne accompagnée au lieu de la laisser faire par elle-même, par souci de facilité et gain de temps.


Je me souviens de certaines réactions ou insinuations au travail. "Tu vas voir ta grand-mère ? C’est mignon". Non, ce n’est pas mignon de voir un proche décliner. Certes c'est la vie, c'est dur mais ça n’a rien de mignon. "Tu as bien profité de ton séjour ? C’était bien les vacances ?". Non, je n’ai pas "profité" et ce n’était pas des "vacances". Parfois, c’est même tout l’inverse de vacances tellement ça épuise.



Même lorsque ce qu’on appelle la "prise en charge" est efficace et quasi intégrale, du lever au coucher en passant par les repas, la toilette, le ménage, la prise de médicaments, la gestion de la paperasse et la coordination des intervenants, ça use d’aider. Quand on n’est pas sur place, on y pense : "comment va-t-elle ? combien de temps depuis le dernier contact téléphonique ? depuis la dernière visite ? est-ce que ça va bien se passer avec la nouvelle intervenante (3) ?


Quand on est sur place, on se confronte à la souffrance : celle de la personne accompagnée mais aussi par moments celle d’intervenantes également épuisées. Inévitablement, on se confronte aussi à soi. Aux limites de son aide et souvent, à son impuissance.


Il est temps de pouvoir parler de ces sujets de manière claire et autant que possible décomplexée au sein des organisations. C'est, si j'ai bien compris, le sens de la mission confiée par le gouvernement à la Plateforme RSE, qui devrait remettre ses recommandations en février 2022. L'objectif affiché : "encourager les entreprises à se mobiliser en faveur du soutien aux salariés aidants". Tout un programme.


Aidons-nous : parlons-en !


Je ne sais toujours pas si je suis une aidante mais je sais que l’aidance me concerne. Surtout, je sais que je ne m’engagerai plus dans une nouvelle mission sans évoquer cette réalité de but en blanc. C’est bien trop compliqué de travailler et faire comme si. Je suis persuadée que plus on sera nombreux.ses à en parler, moins ce sera tabou et plus on pourra entendre ce que nos collègues, nos collaborateurs, mais aussi nos amis, nos proches aidants ont à nous partager. Le seul fait de pouvoir en parler peut alléger la charge, invisible au premier regard, qui pèse sur les épaules des aidants. Leur solitude n’est pas un phénomène isolé, puisqu’1 aidant sur 2 a le sentiment d’être "seul.e et démuni.e" dans son rôle (4).


Se faire accompagner, aussi, est une des clés. Certaines initiatives encore rares s'adressent directement aux aidants et cherchent à soulager concrètement leur quotidien. C'est le cas de Paumy & vous. J'ai eu la chance de rencontrer sa fondatrice Clara Chauchard, une ancienne aide-soignante qui s’est formée au métier de Technicien Coordinateur de l’Aide Psycho-Sociale à l’Aidant (on va trouver un autre nom, promis !), que j’ai découvert grâce à elle.


Et vous, quelle expérience avez-vous de l’aidance ? Êtes-vous concerné directement ou indirectement parce que parmi vos collègues, vos collaborateurs, il y a des aidants ? Comment appréhendez-vous cette réalité dans un contexte professionnel qui exige une présence et une performance souvent difficiles à concilier, voire carrément incompatibles avec l'aidance ? Si vous connaissez d’autres initiatives comme celle de Clara, qui apportent une aide directe aux familles concernées par la perte d’autonomie d’une personne âgée, n’hésitez pas à la mentionner en commentaire.


Comme toujours : avis à vos retours et éventuels témoignages, quels que soit votre âge :)


Références :

(1) 1 Français sur 2 déclare avoir entendu parler de la thématique des aidants et 66% des aidants sont des actifs (Baromètre des aidants, BVA/Fondation April, octobre 2021).

(2) Il y a 57% de femmes et 43% d’hommes aidants (Baromètre des aidants, BVA/Fondation April, octobre 2021).

(3) Le métier d'auxiliaire de vie est exercé à 97,7% par des femmes d'après Vitalliance, sans parler des aides-soignantes et des infirmières.

(4) Baromètre des aidants, BVA/Fondation April, octobre 2021.

4 Comments


katerina
katerina
Nov 21, 2021

ça rejoint aussi la culpabilité qu'on peut parfois ressentir en tant qu'aidant. Comment s'en libérer tout en jouant son rôle ? Question d'équilibre j'imagine. Merci pour ce partage :)

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katerina
katerina
Nov 21, 2021
Replying to

Absolument d'accord ; ça dépend aussi beaucoup de la posture de l'aidé. Ceci dit, ce qui est évident pour toi ne l'a pas été pendant longtemps pour moi et je ne crois pas être la seule dans ce cas. D'où l'importance de témoigner, partager nos expériences. C'est si facile de s'oublier quand on est dans une relation d'aide

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anne zavan
anne zavan
Nov 19, 2021

je crois qu'être aidant familial c'est comme Monsieur Jourdain, on le fait sans s'en rendre compte ni même accepter que cela soit exceptionnel et une charge, fatigue, contrainte, tous ces mots étant même tabous. Parole d'aidante !

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