Fondatrice du podcast Plaff sur les discriminations dans l’emploi vécues par les femmes à l’approche de la cinquantaine, Claire Flury a profité de la disponibilité offerte par la retraite pour se lancer dans un nouveau projet. Bénévole accompagnatrice de chercheurs d’emploi, elle fait résonner la voix de femmes, d’expertes, de militantes, d’actrices de terrain qui combattent ces discriminations. Qui a dit que la retraite ne pouvait pas être créative ?
Est-ce que tu te reconnais dans ce mot, "vieille" ?
Oui ! D’abord parce que j’ai 70 ans. Qu’on ne se reconnaisse pas dans le mot "vieille" quand on a 50 ans, je le comprends. A 70 ans, je m’y reconnais tout à fait et si quelqu’un me donne sa place dans le métro, je la prends volontiers !
Je me ressens tout à fait vieille mais pas avec les stéréotypes négatifs qui sont associés à ce mot. Ce n'est pas parce qu'on a disons un âge certain, qu'on est forcément dépassée par le numérique, ronchon, réac, radoteuse... En fait, ce qui me paraît important, c'est de prendre conscience qu'il y autant de diversité chez les vieux et vieilles qu'aux autres moments de la vie. Et d'ailleurs, autant de diversité que dans toutes les catégories humaines.
Dans mon cas, j’ai 70 ans, je suis vieille, mais ça ne m’a pas du tout empêchée de me dire que je pouvais me lancer dans ce projet de podcast alors que je n’y connaissais rien.
Depuis quand tu te reconnais dans ce mot ?
Je dirais que c’est depuis que j’ai compris que mes enfants n’avaient plus besoin de moi. J’ai pensé à ce moment : "mes enfants sont élevés, j’ai confiance en eux, ils vont se débrouiller". C’est une autre période de la vie qui a commencé pour moi. Pour m’aider à lâcher prise, parce que ça a été dur, je me suis dit que le mieux serait de faire quelque chose pour moi qui me plairait !
Quel est ton âge ressenti ?
Physiquement, je suis en meilleure santé que la plupart des personnes de mon âge que je connais. Je peux encore faire du vélo et de la randonnée. Tous les matins, je me dis que j’ai beaucoup de chance.
Au niveau psychologique, je ressens mon âge mais pas l'obligation de me mettre dans les rails de ce qui serait attendu d'une personne de 70 ans au titre des préjugés dont je parlais précédemment. Quelquefois, je dois surmonter mon appréhension "est-ce que je vais pouvoir suivre dans cette formation podcast où l'âge moyen des stagiaires est 35 ans ?", mais, en fait, oui, jusqu'ici, j'y suis arrivée.
Comment t’es-tu transformée avec le temps ? Est-ce qu’il a des choses qui se sont améliorées, dégradées ou au contraire qui n’ont pas changé avec les années ?
Je trouve que je ne me suis pas beaucoup transformée, malgré les efforts que j'ai faits ! Je connais mes travers mais je n’ai pas tellement changé.
Ce qui s’est amélioré dans ma vie, c’est que j’ai une disponibilité que je n’avais pas quand j’avais 40 ans. A 40 ans, j’étais hyper occupée, avec des enfants… c’était super mais je courais après le temps. Maintenant, j’ai du temps mais je n’ai plus de bébés dans les bras. Il n’y a pas de situation qui n’ait pas son revers.
J’essaie de continuer à apprendre et de rester à l’écoute. Pour mon podcast, il a fallu que j’apprenne à utiliser le matériel d’enregistrement, à me débrouiller avec les logiciels de montage, j’ai aussi travaillé avec une coach de voix.
Dans les choses que je vis difficilement, il y a la maladie ou la disparition de proches. Quand tu as 30 ou 45 ans, tu vois mourir des personnes plus âgées que toi. Maintenant, ce sont les amis de ma génération qui tombent malades.
Qu’est-ce qui t’anime aujourd’hui, te donne envie de te lever le matin ?
Mon environnement familial et amical. Ce sont eux qui me soutiennent. Je ne sais pas ce que je serais sans eux. En dehors de ce socle-là, c'est mon podcast qui remplit mon temps libre et ça me plaît énormément.
Comment t’es-tu lancée dans ce projet de podcast ?
En novembre 2020, c’était le deuxième confinement, j’ai accompagné une femme au chômage de 52 ans et c’est elle qui m’a donné envie de donner la parole à toutes ces femmes chercheuses d'emploi qui n’arrivent pas à retrouver du travail et dont on n'entend jamais parler.
Au départ je voulais faire entendre des femmes dans le dernier tiers de leur vie professionnelle, frappées par la double peine des inégalités femmes/hommes et des préjugés liés à leur âge. Le projet a évolué et je choisis une thématique mensuelle que je décline en 3 épisodes : un témoignage, une personne bénévole ou salariée qui intervient en soutien sur le marché de l’emploi et une experte qui donne le contexte ou apporte une perspective historique.
Je m’étais fixée comme objectif de démarrer en septembre 2021. J’ai travaillé avec mon plus jeune fils pour créer le site. Puis j’ai fait mes premiers enregistrements. Grâce au podcast, j’ai fait de belles rencontres. Et je suis trop contente quand j’arrive à résoudre des problèmes de montage ou d’autres problèmes techniques, ça me donne confiance en moi.
Est-ce qu’il y a un mot ou une expression qui t’agace ou te dérange quand on en vient à parler d’âge ?
Oui, c’est le mot "senior". Ce qui me met hors de moi, c’est que c’est le même mot qui recouvre des actifs en emploi, en reconversion ou au chômage à partir de 45 ans, des retraités mais aussi des personnes dépendantes ou en toute fin de vie. Alors qu’il n’y a pas de rapport entre ces différentes catégories de personnes. Le fait qu’on utilise un seul mot pénalise de fait ceux et celles qui sont encore en âge de travailler et d’évoluer professionnellement.
En changeant le mot, on changerait le regard sur les personnes de plus de 45 ans. D’ailleurs, dans le podcast, je propose de parler des "majoractives" ou "majoractifs" pour les hommes. "Médianes" est un autre mot qui a été proposé* et qui irait pour les femmes mais n’est pas déclinable pour les hommes. Dernièrement, on parle de plus en plus de travailleurs expérimentés.
Est-ce que tu as envie d’ajouter quelque chose ?
Au moment où on parle de pénurie d’emploi dans tous les secteurs d’activité, et où on va discuter d’une réforme des régimes de retraite, il faut mettre sur la table le problème français du sous-emploi des salariés en fin de carrière : ce sont eux qui font les gros bataillons du chômage longue durée. Cette question concerne tout autant les politiques que les entreprises. Il y a beaucoup de rapports sur cette question mais aucune de leurs préconisations n’a encore été discutée !
Propos recueillis le 30 Novembre 2021.
* Le média J’ai piscine avec Simone a organisé en mai 2021 sur son compte Instagram un concours pour trouver un mot qui définisse le mieux la génération des "Simone". Parmi les différentes propositions faites, "médianes", l’équivalent du "midlife" anglo-saxon a été retenu.
Comments